Pierre Verstraeten: une pensée-vie

par Véronique Bergen
 Analyse critique d'un traité de philosophie. P. Verstraeten

 

Saveur des vagues qui ne retombent pas.

Elles rejettent la mer dans son passé.

-René Char

Pour Pierre Verstraeten

Les portes de la philosophie qui ouvrent sur le grand large, la torsade de l’impensé en pensable, l’infini à portée de la main, le ptyx de la pensée qui se relance dès que touché, chaque cours expérimenté comme un événement qui se tient à hauteur de son intensité, sans plus de différé entre sa promesse et son acte…

Dans les amphithéâtres s’est expérimentée la philosophie en acte – le devenir-vie de la philosophie et le devenir-philosophie de la vie. En toile de fond de cette pensée se pensant, selon le work in progress de concepts poussés aux limites d’eux-mêmes, la construction d’une alliance entre la dialectique hégéliano-sartrienne et le vitalisme deleuzien se donnait à voir. Afin d’acter et de consolider les noces de ces deux massifs que la doxa philosophique pose comme antagonistes, il s’agissait de déployer la haute voltige d’une pensée sans filet, d’une pensée acrobate, à fleur d’invention perpétuelle, qui ne cesse de traquer la fossilisation, les clichés qu’elle sécrète comme son ombre. D’année en année, Pierre Verstraeten a joué l’oubli fécond contre la capitalisation des acquis et dynamité le sédimenté, le dépôt de ses propres créations pour reprendre une question à nouveaux frais, sous un autre prisme. Continue reading

Entretien avec Véronique Bergen autour de Requiem pour le roi. Mémoire de Louis II de Bavière

Par Athane Adrahane (2011)

                  Véronique-Bergen-2011                    
©Athane Adrahane
                                                                                                                             
Véronique,

   Je viens de terminer « Requiem pour le roi ».
   Je voudrais t’écrire depuis ce point où tourbillonnent les âges, les sexes et les règnes, où s’étreignent les astres, les fleurs et les lacs.
   Je voudrais t’écrire depuis ce point où existe le mouvement d’aller retour incessant entre esprit et  matière, nature et pensée, noûs et phusis.
   En toute immanence.
   Je voudrais t’écrire depuis ce foyer de solitude, ce royaume de l’enfance où le pouvoir de l’imaginaire sait résister à la réal politique des adultes.
   Depuis le point que ton livre allume, je ne peux en cette nuit t’esquisser que quelques sentiments en éclair…

Saisie magnétiquement  par le devenir que tu extrais de l’histoire de ce roi sculpté dans une solitude de haute altitude. Sa délitescence. Son déchirement, dans le sens des strates qui bâtirent son être. Son effeuillage, par où sa flore s’expose au charme lunaire, à son cortège d’ombre favorisant d’autres enfantements. Et ce, que le magnétisme soit de cime ou d’abîme, porteur de marée de peur ou de ruissellement d’extase. Continue reading

Sur Athane Adrahane. Par Véronique Bergen

Il est des livres qui sont plus que des livres : des actes engagés dans la création de nouvelles manières de penser et d’exister, des aventures qui participent d’un mouvement dans les choses et non d’un regard sur le monde. Le livre d’Athane Adrahane est de ceux-là : loin de surplomber ce dont il traite, il acte ce qu’il énonce, il se pose comme un geste qui effectue ce qu’il décrit, il ne se range dans l’ordre de la thématisation mais dans celui de l’opération, il est écriture de sang, de désirs, d’étoiles et d’anges. Faisant sien un vitalisme deleuzien pour qui l’adoption d’un mode de penser témoigne du choix d’une conduite existentielle, l’auteur expérimente les noces d’une pensée philosophique (Nietzsche, Deleuze-Guattari…) et d’une pensée cinématographique (Lynch, Almodovar, Zulawski…) afin de libérer en leur devenir croisé des rencontres et événements ordinairement étouffés. Au travers de ce livre (qui ne représente qu’une pièce d’un agencement plus vaste où se côtoieront film et disque), Athane Adrahane nous livre un Evénement c’est-à-dire une création inidentifiable par les grilles perceptives habituelles : la cartographie singulière de ses peuples intimes, de ses tribus porteuses de libération et d’affects intensifs, le pari pour une œuvre ouverte, dynamique qui soit résistance à la pensée dominante, machine de guerre contre toutes les formes codées qui emprisonnent la vie. Il importe alors de saisir que le geste par lequel Athane Adrahane convoque ses peuples (à savoir, en sus des auteurs mentionnés, Artaud, Castaneda, Marilyn Manson, Dead Can Dance…) n’est qu’une invitation adressée au lecteur afin que ce dernier découvre ses propres hordes, celles-là mêmes qui l’amèneront à expérimenter des
postures créatrices en lieu et place d’une assise confortable dans le régime officiel du vivre et du penser. En tant qu’elle naît de crises et de secousses qui l’obligent à se conquérir, toute création se présente comme cette flèche qu’il reviendra à un autre penseur de ramasser pour la relancer ailleurs. Continue reading

Cavalcades à la frontière du langage, avec “Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent” de Véronique Bergen

par Athane Adrahane (2006)
Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent. Véronique Bergen

Voix d’un lecteur

Pourquoi l’enfant- volcan, chanté Athane Adrahane, se fissure-t-il en petites rivières de larmes quand traverse sa nuit la voix de Kaspar dans les petites phrases de Véronique ?

Pourquoi ne sombre-t-il pas alors dans le fleuve de tristesse que devrait générer le regard lucide des terres de l’enfance posé sur l’étendue de la barbarie des hommes ?

Pourquoi l’enfant-volcan, chanté Athane Adrahane, sourit-il alors aux anges quand traverse sa nuit la voix de Véronique dans les petites phrases de Kaspar ?

Parce qu’il est un lieu où les mots sont plus que des maux, ils se font chant, ils se font musique. Ils ne sont plus ces actes terroristes qui assassinent le feu magique de l’enfance mais ces ailes qui délicatement vous touchent et vous envolent pour des terres plus belles et plus intenses que celles que les mots menteurs des adultes ne pourront jamais nous dépeindre.

Parce qu’il est un lieu où à force de penser la blessure l’on se met à la panser.

Les livres de Véronique Bergen figurent parmi ces terres encore sauvages où les larmes se font vivifiantes rivières irriguant les terres des gorges les plus asséchées. En ces endroits où les rumeurs se font vents ensemençant les chants les plus désespérés, alors, à la grâce de je ne sais quelle lumière, l’on voit croître les mots qui sauvent. Continue reading