In Réenchanter le sauvage urbain (II) sous la direction de Sylvain Rode, Hélène Schmutz et Bénédicte Meillon
Revue Textes & Contextes. Université de Bourgogne.
Le sauvage urbain semble sonner comme un oxymore. La contraction de deux termes dont les sens seraient éloignés, tenus dans deux mondes séparés. Comment faire sonner ensemble, mettre en chant ces deux mots, ces deux voix aux manières divergentes ? D’un côté, chanter le sauvage, donner voix à la libre prolifération des trépidations primordiales, à cette nature tout en indocilité, force dionysiaque, volcanique, grognante, puissance rebelle teintée de désobéissance civile dès lors qu’opère une mise en plis tout en violence de sa nature profonde, barbare, rustre, non urbaine, voire impolie, même inhospitalière ! Femme sauvage, celle qui chante avec les loups, qui ne plie pas le genou, sorcière vocalisant les terres du ventre (…)
C’était le samedi 4 avril 2020, les mots tremblaient inhabituellement ce matin-là dans mon petit nid d’aigle sous toit bruxellois. La secousse amie qui livra étreinte à mon écriture en cette aube ne m’était cependant pas inconnue. L’annonce officielle succéda au savoir du corps : l’écrivain Marcel Moreau était mort à Bobigny des suites du coronavirus. En ces temps de confinement, pour nombre d’entre nous, il fut question d’ajuster à la situation nos manières d’accueillir l’événement qu’est le « départ » d’un être cher. Investir cet espace-temps puise en notre art à se tenir à dimension d’une relation, à fabriquer des rituels qui permettent d’acter la séparation avec certaines dimensions de l’autre, à investir cet écotone où l’ami se tient à la fois dans une posture d’absence et de surabondance de présence, à prendre le temps d’honorer le mouvement qui insiste à garder vivaces certaines traces, à prolonger cette vie sur d’autres niveaux de conscience, d’autres pans du réel…
Cher Marcel, mon vieil ami volcan,
Alors, « L’abysse fait Femme » ou « Puissance du langage » comme tu nommas quelquefois ton écriture, voir, ton pays, me prit par les mots afin d’acheminer mon ineffable tristesse dans la zone hadale, cette région de toutes les profondeurs. À dos de ton ami « Rythme », nous partîmes, ainsi, en quête de quelques incandescences de sens nécessaires à l’apprivoisement de la nature du séisme dont tu es le point chaud depuis le 4 avril 2020. Marcel, je crois bien qu’il s’agissait de la « Femme de ton dernier souffle », elle avait l’accent des tempêtes, le phrasé des volcans, le rire solaire des cavalcades mongoles, et aussi la généreuse douceur de ces solitudes qui ont su faire de leurs blessures des beautés. Elle m’arracha aux froids médias qui dévitalisent, au bilan comptable des morts sans corps qui fige dans l’irrespirable peur. Elle me rendit à ce souffle de la poésie qui de(a)nsifie le corps et lui rappelle qu’il est nature. Et voilà que ventre est volcan, que poumon est Amazonie. Et voilà que sang se redécouvre du groupe des basaltes, et que liquide lacrymal a pour puissance de restituer mes sens aux mouvements de la mer primale. Marcel, nous y sommes, en terre et espace des écritures de lave. Ici, il y a risque que la dynamique sensorielle de tout terrestre se trouve mise en vibration par ton « Cratère à cordes », que l’intime foyer de nos êtres s’en sente ravivé par le doux toucher de ta « Violencelliste », cette virtuose de la gamme des pulsions primordiales ayant pour magie de faire sourdre des profondes obscurités de lumineux élans de vie, transmutant ainsi les instincts destructeurs en forces créatrices.
Pour attiser un peu plus encore le sourire du cœur et faire de mes larmes ces sèves charpentières de mondes, « l’abysse fait Femme » me dit encore ceci : « À vrai dire, c’est la manière de respirer qui dresse le catalogue des expirations. Puisqu’il rêve que son expiration scintille, il s’agira donc qu’il respire fabuleusement. Il exige de la poésie qu’elle s’accorde à ses poumons et s’exhale en millions de feux » (La pensée mongole). Ainsi, Marcel, je te poétise avoir expiré fabuleusement en cette aurore du 4 avril, à l’heure du réveil de tes mots. Je soupçonne ceux-ci d’avoir dansé à hauteur de ta « cruelle lucidité » et de ton inextinguible générosité. Je les poétise tellement vibrants, au paroxysme d’eux-mêmes, dans une bioluminescence jamais atteinte. Ils étaient là afin de célébrer ta vie et saluer ton indéfectible attention soignante aux puissances du verbe. Tes mots, je les soupçonne également de faire feu en nous à dessein d’une joyeuse réanimation de nos émeutes meurtries. Marcel, au moment où ton volcan s’en va rejoindre l’océan, les millions de cratères à mots que tu as activé en tes lecteurs ne sont pas près de s’éteindre, mais bien d’étreindre la vie à plein poumon, loin des existences atrophiées, encagées, pucées que l’on aimerait vouloir nous faire épouser. De la horde des arts viraux, je les soupçonne de nous transmettre cette charge vitale d’audace et de courage nécessaire à la rencontre avec nos peurs, ombres et monstres intimes. Parce que les ombres en ton pays n’ont jamais été ces illusions platoniciennes dont il fallût se débarrasser pour atteindre quelques vérités sans corps, mais celles avec lesquelles il s’est agi de danser pour enfanter une « chaosnaissance » à hauteur de nos histoires de chair et de sang. Il m’importe d’entretenir le souffle de cette humilité à la tâche qui consiste à se faire chercheur en écologie intérieur. Oui, pratiquer sans complaisance cette écriture de la nuit où la mise en mots des maux, paradoxes, déchirures, et amours sidérales aurait ardeur à déboucher sur un chant dont l’intégrité ferait rempart au sordide petit commerce d’une conscience à la solde de ses inassumés. Ériger alors un « je »qui, à visage de montagne, n’abolirait pas la mémoire des failles qui l’ont constitué en sa singularité. Alors en ce qui concerne la mort, certes, il y a ce mot qui désormais te colle au corps. Marcel, tu avais le bon goût de ne pas te penser séparé de la condition animale. À l’idée qu’il serait de bonne guerre que tu finisses dans le ventre des êtres qui t’avaient nourri, ton œil malicieux invoquait la panthère noire, celle dont ton portefeuille abrita longtemps la photographie. C’est dans l’intime du rugir de cette bête couleur nuit, que je te poétise aussi, bondissant à travers jungle, parmi les porteurs de feuilles, au cœur de ces « Saulitudes » dont, encore, lors de notre dernière rencontre, tu t’obstinas à vouloir faire monter la précieuse sève des phrases. Précisément, chaque livre se vivait comme ta dernière bataille. Une danse vitale, exigeante, sans complaisance entre ton corps charnel et ton corps verbal. Il en allait ainsi de tes livres, il en allait ainsi de nos rencontres…tout un art de se livrer à cratère d’authenticité, bien loin de la comédie sociale moderne. Marcel, je ne te perds pas de mots, le livre de notre rencontre continue de s’écrire en moi, à dimension de cette consanguinité volcanique et abyssale, à dimension de ton précieux soutien à l’accomplissement d’une écriture de réappropriation d’un ventre de femme.
Ton amie
Athane
P.S. : Regarde, en photo, mon petit Marcel, le tambourinaire des abysses, celui qui met les profondeurs en mouvement de bonheur. Il est fait avec l’aide du peuple des arbres du parc de mon chien, les fossiles de ma montagne et une bonne bouteille de vin… Tu sais, on a bien rigolé, on s’est échappé dans mon endroit préféré, là où il n’y a pas de civilisés, juste le renard, les corneilles, les mésanges et le feu solaire dans les racines des ancêtres. Au rythme de l’ivre tam-tam s’est ouvert la faille et je te jure, on y était dans le maquis provençal ! Un sacré « bal dans la tête » ! Haha, je te raconterai dans un prochain texte.
Livres de Marcel Moreau cités et évoqués :
Marcel Moreau, La violencelliste, Denoël, 2012.
Marcel Moreau , Des hallalis dans les alléluias, Denoël, 2009.
Marcel
Moreau, Un
cratère à cordes ou La langue de ma vie, Lettres
Vives, 2016.
Marcel Moreau, Bal dans la tête, La différence, 1995.
Marcel Moreau, Saulitude, Accent, 1982.
Marcel Moreau, Les arts viscéraux, Christian Bourgois, 1975.
Marcel Moreau, La pensée mongole, Christian Bourgois, 1972.
Texte d’ Athane Adrahane ( traduit du français par Françoise Besson et Marie-Christine Noailles-Pizzolato) paru au sein de l’ouvrage collectif « Reading Cats and Dogs Companion Animals in World Literature » publié chez Lexington Books et dirigé pas Françoise Besson, Zélia M. Bora, Marianne Marroum et Scott Slovic. Cet article met en lumière comment la boussole animale (et plus particulièrement celle des canidés), dès lors qu’elle se met a guider nos pas, inaugure des sentes de pensées inédites.Y est également contée la manière dont la petite meute tribu de dogues de bordeaux a amenée l’autrice à pratiquer les gammes d’une écosagesse consistant à se rendre attentif à la polyphonie des mondes.
Texte d’Athane Adrahane (Traduit du français par Bénédicte Meillon) paru dans l’ouvrage collectif “300 years of robinsonades” aux éditions Cambridge Scholars Publishing dirigé par Emmanuelle Peraldo.
Voici le résumé : Cet article entend s’intéresser à la manière dont la figure du Robinson telle qu’elle fut traitée par Michel Tournier dans le récit Vendredi ou les limbes du Pacifique pourrait aider le lecteur à cheminer avec certaines problématiques écologiques actuelles. Au contact de ce texte, émergent différentes images de la terre à la création desquelles participent des propositions d’écologie individuelle, sociale et environnementale. Dans un premier temps, face à Gaïa, Robinson construit un récit qui consiste à enclore les voix de la terre plutôt qu’à les faire éclore en lui à titre de partenaires collaboratifs au sein de ses stratégies de survie.
Un autre chant de la terre sortira des limbes dès lors qu’il se mettra à cultiver des récits communs avec les îliens non-humains. En apprenant à se laisser modifier par les rochers, colorer par les lumières, animer par les fleurs, la terre deviendra une personne ayant force normative. Une autre image de la terre prendra vie encore avec l’intrusion de Vendredi. Par la pratique de mouvements d’émergence de nouvelles longitudes et latitudes, mais aussi de séparation/réparation, sera démontrée notamment que l’intrusion d’événements inattendus, l’effondrement de vieilles habitudes peuvent faire naître des récits d’une autre nature.
Le texte « Écrire à dimension des montagnes, des papillons et des étoiles » est paru dans le dernier numéro de la revue internationale Crossways, intitulé Lieux d’enchantement : approches écocritiques et écopoét(h)iques des liens entre humains et non-humains, sous la direction de Margot Lauwers et Bénédicte Meillon. Vous y trouverez aussi des textes de Nathalie Blanc, Belinda Cannone, Davide Vago, Stéphanie Mousserin, Sylvain Rode Nicolas Picard, Pierre-YvesTouzotRoberta Sapino,Joachim Zemmour Fabiola Obamé Abeline Léal et bien d’autres.
Voici un très beau Colloque international qui aura lieu à Toulouse “Cris et écrits de la nature/ Land’s Furrows and Sorrows”, organisé par Françoise Besson, du 5 au 8 avril! Partcipation le 7 avril avec une communication intitulée”De la polyphonie des récits, cris et écrits de la terre. Pratique de l’attention magique. Pour voir le programme complet : http://ecopoeticsperpignan.com/veille_manif/
Et voici le résumé de l’intervention :
En toute profondeur, les brames des cerfs colorent l’atmosphère de la montagne. Les hululements d’une chouette ouvrent l’esprit aux mystères de la nuit. Dans la calligraphie des éclairs, se lit le récit d’un été qui,enfin, pourra pleurer feu le peuple des arbres décimé lors d’une saison criant sécheresse. Au loin, nourrie par l’orage, la rivière reprend timidement ses vocalises mettant ainsi en respiration créatures ailées et êtres feuillus. En tout légèreté, le vent m’apprend que là-bas, des femmes se réapproprient leur localité en plantant des arbres, qu’ailleurs d’autres peuples par leur danses, chants et rituels luttent contre un oléoduc, que partout des mains et des pieds écrivent des partitions accueillant une musique où s’allient humains et plus qu’humains. Continue reading →
L’exposition « Resurgence » s’inscrit dans une journée d’Étude intitulée « Espoirs et pouvoirs de femmes: approches écoféministes de la résilience à travers la photographie et la littérature”. Il y aura, le 10 mars, en plus du vernissage de l’exposition, des conférences de Bénédicte Meillon et Samia Haroune et puis des lectures de poèmes d’Athane Adrahane. Voici toutes les infos et liens ci-dessous :
Participation d’Athane Adrahane, le mercredi 22 juin, à ce très beau colloque international en ecopoétique “Lieux d’enchantement: écrire et réenchanter le monde” organisé par l’université de Perpignan du 22 au 25 juin.
« Les tremors sont des secousses, des vibrations, des frissons. Nous sommes parcourus par une infinité de vibrations. À ces différents tremblements de corps, j’ai voulu laisser libres mots et remonter aux profonds foyers qui font parler, chanter, danser. Se découvrir alors volcan, rivière, femme en colère, petit enfant solitaire en rêve d’une meute solidaire… La parole poétique se fait ici sismographe, viable libération des puissances dormantes. » (Quatrième de couverture)
« Tremor me fait penser, par quelque bout que je le prenne, à une suite de hordes vocales habillée de la haute couture des cadences alexandrines. » Marcel Moreau, Préface.« Dès les premières pages, le lecteur entre dans l’univers singulier de l’artiste. Celui-ci se peuple de silhouettes animées, souterraines, liées au chaos frémissant. Ni désordre ni débâcle, mais une foison d’énergies, d’incandescences: la fronde langagière s’organise de toutes parts. En vers libres, le poème se fait murmure ou saccade, puise aux sources comme au flots. » Françoise Lison dans L’Avenir, Le Courrier de l’Escaut.