Sur Athane Adrahane. Par Véronique Bergen

Il est des livres qui sont plus que des livres : des actes engagés dans la création de nouvelles manières de penser et d’exister, des aventures qui participent d’un mouvement dans les choses et non d’un regard sur le monde. Le livre d’Athane Adrahane est de ceux-là : loin de surplomber ce dont il traite, il acte ce qu’il énonce, il se pose comme un geste qui effectue ce qu’il décrit, il ne se range dans l’ordre de la thématisation mais dans celui de l’opération, il est écriture de sang, de désirs, d’étoiles et d’anges. Faisant sien un vitalisme deleuzien pour qui l’adoption d’un mode de penser témoigne du choix d’une conduite existentielle, l’auteur expérimente les noces d’une pensée philosophique (Nietzsche, Deleuze-Guattari…) et d’une pensée cinématographique (Lynch, Almodovar, Zulawski…) afin de libérer en leur devenir croisé des rencontres et événements ordinairement étouffés. Au travers de ce livre (qui ne représente qu’une pièce d’un agencement plus vaste où se côtoieront film et disque), Athane Adrahane nous livre un Evénement c’est-à-dire une création inidentifiable par les grilles perceptives habituelles : la cartographie singulière de ses peuples intimes, de ses tribus porteuses de libération et d’affects intensifs, le pari pour une œuvre ouverte, dynamique qui soit résistance à la pensée dominante, machine de guerre contre toutes les formes codées qui emprisonnent la vie. Il importe alors de saisir que le geste par lequel Athane Adrahane convoque ses peuples (à savoir, en sus des auteurs mentionnés, Artaud, Castaneda, Marilyn Manson, Dead Can Dance…) n’est qu’une invitation adressée au lecteur afin que ce dernier découvre ses propres hordes, celles-là mêmes qui l’amèneront à expérimenter des
postures créatrices en lieu et place d’une assise confortable dans le régime officiel du vivre et du penser. En tant qu’elle naît de crises et de secousses qui l’obligent à se conquérir, toute création se présente comme cette flèche qu’il reviendra à un autre penseur de ramasser pour la relancer ailleurs. Continue reading

Le regard autre

par Athane Adrahane (2007)
Bonsoir à tous,

Je voudrais d’abord remercier le centre culturel Omar Khayam (1), pour cette invitation, fruit d’une rencontre qui s’est d’abord opérée avec l’univers livresque de « La conscience magique ». Ce qui anime votre travail rencontre par certains axes le mien. Vous, comme moi, cherchez à créer un espace/temps où les valeurs et les différences puissent coexister, un monde où le rapport à autrui ne se vit pas exclusivement sous le mythe de la colonisation à sens unique, une domination de droit d’une culture par une autre, d’une classe par une autre, d’un règne par un autre. Un univers où « l’autre », quelle que soit sa couleur ou sa langue, puisse valoriser sa singularité, son mode de rencontre au monde sans craindre que parce que ce mode n’est pas semblable à celui du voisin, celui-ci n’ait pas droit d’expression. De ce monde à créer, vous en parlez dans les termes « d’espace de l’entre-deux » et là encore, il y a rencontre entre nous, tant dans l’esprit que dans le concept, puisque l’entre-deux est un concept clef de « La conscience magique ».

Où se trouve cet espace/temps de l’entre-deux ? Je crains qu’il n’y ait pas de carte toute faite qui nous conduirait à ce précieux trésor, à cette terre originale (original au double sens du terme, d’une part « qui existe dès l’origine », et d’autre part nouveau, singulier, inédit) car d’une part cet espace n’existe qu’en le créant et d’autre part cette terre originale ne cesse de nous devancer, de nous précéder. Cela existe, mais sur un autre plan de conscience comme les mirages d’oasis qui s’enfantent à l’arrachée de longues traversées de désert.

Cet entre-deux est un antre à la géographie mouvante, aux frontières fluctuantes. Dans cet endroit ou plutôt cet envers d’un monde actuel où dominent les malentendus, les Continue reading

Itinerrances philosophiques

par Athane Adrahane (2006)

« Pourquoi philosopher ? Le sens de l’acte philosophique en question »

Colloque de philosophie, Université Catholique de Louvain La Neuve, 11 et 12 mai 2006

Mon engagement philosophique, auquel je préfèrerai l’appellation de mon devenir philosophe, n’a pas coïncidé avec mon inscription à la faculté de philosophie, ni avec l’obtention d’un diplôme universitaire. Il est venu d’ailleurs, de cet acte particulièrement rigoureux qu’est la création philosophique. Pour qu’il y ait engagement, il faut qu’il y ait alliance, don de soi, de son énergie vitale. S’engager est toujours un gage de sang. Pour qu’il y ait alliance, il faut que le mouvement se fasse dans deux sens au moins. Pour qu’une philosophie vous ouvre ses portes, il est nécessaire que vous ouvriez les vôtres. Tel philosophe, tel livre de philosophie, tel concept vous ouvre et vous ensemence de nouvelles perspectives, d’un souffle nouveau, vous-même alors, par la singularité de vos expériences, de votre rythme, des langues et peuples qui vous habitent, vous pourvoirez cette philosophie d’une nouvelle lumière, d’un nouveau sens, d’une nouvelle dimension. C’est un pacte, une amitié. En fait si le feu d’une création philosophique vous a vitalement, réellement touché, vous ne pourrez faire autrement que de le faire chanter à votre tour.

À 18 ans, on est une véritable marmite existentielle, bouillonnement incessant fait d’étonnements, de révoltes, de passions, de blessures, de naïvetés, d’espoirs et de désespoirs. Vous êtes ce cri dans la nuit qui, visité d’une phrase de Rilke, se voit persuadé de la réalité des anges.Vous êtes ce personnage tout droit sorti d’un livre de Sartre, convaincu que l’homme est ce qu’il fait. Échappés d’un film de David Lynch, vous hantez la forêt à la recherche de l’arbre-hibou. Vous êtes ce chercheur à la lanterne questionnant les passants sur la prétendue mort de Dieu. Peuplés de rock Continue reading

La philosophie, une création à contre courant

Athane Adrahane (2006)

« Pourquoi philosopher ? Le sens de l’acte philosophique en question »

Colloque de philosophie, Université Catholique de Louvain La Neuve, 11 et 12 mai 2006

Comme souhaité par les initiateurs de ce colloque, je tenterai d’articuler mon exposé en gravitant non seulement autour des 3 axes déterminés, à savoir : 1° Quel sens cela a- t’il d’étudier la philosophie ? 2° Quel sens cela a-t-il d’exercer la philosophie (d’être philosophe) ? 3° Pourquoi vouloir conserver et perpétuer la pratique de la philosophie ? Mais aussi du thème générique de ce colloque « La philosophie est-elle quête de sens ? Pourquoi philosopher ? Le sens de l’acte philosophique en question ».

Le chemin de la pensée n’étant pour moi pas exclusivement cette randonnée balisée nous conduisant à la mise en lumière de notre identité mais aussi bien cette expédition pleine de trous, de failles, de détours et de labyrinthes qui nous métamorphose à l’infini, voyez dans le désaxage constant que j’infligerai à la question, la façon en acte dont ma pensée procède. Donc voilà, je vais émettre des pistes, des voix, des flèches de pensées. Non pas une définition de la philosophie mais les sens que ce mot a pris au travers de mon expérience. Non pas « La » vérité à laquelle « il faut » se conformer mais des ponts, des artères, que l’on peut ou non traverser afin de nous porter ailleurs dans notre questionnement.

Il y a autant d’images, de sens et de directions à la philosophie qu’il n’y a de singularités ou de philosophes qui touchent à ce mot. Quel philosophe incarne-t-on ? Chacun a sa façon de voir la philosophie. Chacun l’éclaire de son propre feu créateur. Multiples seront alors les histoires de la philosophie projetées dans les dédales caverneux de la Continue reading

Cavalcades à la frontière du langage, avec “Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent” de Véronique Bergen

par Athane Adrahane (2006)
Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent. Véronique Bergen

Voix d’un lecteur

Pourquoi l’enfant- volcan, chanté Athane Adrahane, se fissure-t-il en petites rivières de larmes quand traverse sa nuit la voix de Kaspar dans les petites phrases de Véronique ?

Pourquoi ne sombre-t-il pas alors dans le fleuve de tristesse que devrait générer le regard lucide des terres de l’enfance posé sur l’étendue de la barbarie des hommes ?

Pourquoi l’enfant-volcan, chanté Athane Adrahane, sourit-il alors aux anges quand traverse sa nuit la voix de Véronique dans les petites phrases de Kaspar ?

Parce qu’il est un lieu où les mots sont plus que des maux, ils se font chant, ils se font musique. Ils ne sont plus ces actes terroristes qui assassinent le feu magique de l’enfance mais ces ailes qui délicatement vous touchent et vous envolent pour des terres plus belles et plus intenses que celles que les mots menteurs des adultes ne pourront jamais nous dépeindre.

Parce qu’il est un lieu où à force de penser la blessure l’on se met à la panser.

Les livres de Véronique Bergen figurent parmi ces terres encore sauvages où les larmes se font vivifiantes rivières irriguant les terres des gorges les plus asséchées. En ces endroits où les rumeurs se font vents ensemençant les chants les plus désespérés, alors, à la grâce de je ne sais quelle lumière, l’on voit croître les mots qui sauvent. Continue reading