“Entre Chienne et Louve” d’Athane Adrahane aux éditions Lamiroy

En terre volcanique, une ancienne légende circule. À la tombée du jour, à l’heure magique que l’on nomme entre chienne et louve, se produisent les passages d’un monde à l’autre. Animées par les paroles de la montagne de lave, des âmes sœurs expérimentent les tendres turbulences d’un amour à dimension des entre-deux, des blessures de terre et métamorphoses sorcières. Mais ces derniers temps rôdent de sombres dangers : un vent qui fige la poésie des corps, la mise en cage du sauvage, un empoisonnement de la force d’aimer…Les pouvoirs de dame Chienne et dame Louve seront-ils suffisants à contre-légender cette mauvaise passe ?

« Entre chienne et louve » percute comme une fable dont la morale nous élève à l’écoute du monde, du non langage, du grand vivant. Un court voyage littéraire qui s’inscrit dans un profond questionnement sur notre société humano-centrée. Aude Fontigny

Info et commande sur le site des éditions Lamiroy : Entre chienne et louve #216

Hommage – Lettre à Marcel Moreau par Athane Adrahane

C’était le samedi 4 avril 2020, les mots tremblaient inhabituellement ce matin-là dans mon petit nid d’aigle sous toit bruxellois. La secousse amie qui livra étreinte à mon écriture en cette aube ne m’était cependant pas inconnue. L’annonce officielle succéda au savoir du corps : l’écrivain Marcel Moreau était mort à Bobigny des suites du coronavirus. En ces temps de confinement, pour nombre d’entre nous, il fut question d’ajuster à la situation nos manières d’accueillir l’événement qu’est le « départ » d’un être cher. Investir cet espace-temps puise en notre art à se tenir à dimension d’une relation, à fabriquer des rituels qui permettent d’acter la séparation avec certaines dimensions de l’autre, à investir cet écotone où l’ami se tient à la fois dans une posture d’absence et de surabondance de présence, à prendre le temps d’honorer le mouvement qui insiste à garder vivaces certaines traces, à prolonger cette vie sur d’autres niveaux de conscience, d’autres pans du réel…

Cher Marcel, mon vieil ami volcan,

Alors, « L’abysse fait Femme » ou « Puissance du langage » comme tu nommas quelquefois ton écriture, voir, ton pays, me prit par les mots afin d’acheminer mon ineffable tristesse dans la zone hadale, cette région de toutes les profondeurs. À dos de ton ami « Rythme », nous partîmes, ainsi, en quête de quelques incandescences de sens nécessaires à l’apprivoisement de la nature du séisme dont tu es le point chaud depuis le 4 avril 2020. Marcel, je crois bien qu’il s’agissait de la « Femme de ton dernier souffle », elle avait l’accent des tempêtes, le phrasé des volcans, le rire solaire des cavalcades mongoles, et aussi la généreuse douceur de ces solitudes qui ont su faire de leurs blessures des beautés. Elle m’arracha aux froids médias qui dévitalisent, au bilan comptable des morts sans corps qui fige dans l’irrespirable peur. Elle me rendit à ce souffle de la poésie qui de(a)nsifie le corps et lui rappelle qu’il est nature. Et voilà que ventre est volcan, que poumon est Amazonie. Et voilà que sang se redécouvre du groupe des basaltes, et que liquide lacrymal a pour puissance de restituer mes sens aux mouvements de la mer primale. Marcel, nous y sommes, en terre et espace des écritures de lave. Ici, il y a risque que la dynamique sensorielle de tout terrestre se trouve mise en vibration par ton « Cratère à cordes », que l’intime foyer de nos êtres s’en sente ravivé par le doux toucher de ta « Violencelliste », cette virtuose de la gamme des pulsions primordiales ayant pour magie de faire sourdre des profondes obscurités de lumineux élans de vie, transmutant ainsi les instincts destructeurs en forces créatrices.

Déluge de brouillon et e lettres Marcel Moreau

Pour attiser un peu plus encore le sourire du cœur et faire de mes larmes ces sèves charpentières de mondes, « l’abysse fait Femme » me dit encore ceci : « À vrai dire, c’est la manière de respirer qui dresse le catalogue des expirations. Puisqu’il rêve que son expiration scintille, il s’agira donc qu’il respire fabuleusement. Il exige de la poésie qu’elle s’accorde à ses poumons et s’exhale en millions de feux » (La pensée mongole). Ainsi, Marcel, je te poétise avoir expiré fabuleusement en cette aurore du 4 avril, à l’heure du réveil de tes mots. Je soupçonne ceux-ci d’avoir dansé à hauteur de ta « cruelle lucidité » et de ton inextinguible générosité. Je les poétise tellement vibrants, au paroxysme d’eux-mêmes, dans une bioluminescence jamais atteinte. Ils étaient là afin de célébrer ta vie et saluer ton indéfectible attention soignante aux puissances du verbe. Tes mots, je les soupçonne également de faire feu en nous à dessein d’une joyeuse réanimation de nos émeutes meurtries. Marcel, au moment où ton volcan s’en va rejoindre l’océan, les millions de cratères à mots que tu as activé en tes lecteurs ne sont pas près de s’éteindre, mais bien d’étreindre la vie à plein poumon, loin des existences atrophiées, encagées, pucées que l’on aimerait vouloir nous faire épouser. De la horde des arts viraux, je les soupçonne de nous transmettre cette charge vitale d’audace et de courage nécessaire à la rencontre avec nos peurs, ombres et monstres intimes. Parce que les ombres en ton pays n’ont jamais été ces illusions platoniciennes dont il fallût se débarrasser pour atteindre quelques vérités sans corps, mais celles avec lesquelles il s’est agi de danser pour enfanter une « chaosnaissance » à hauteur de nos histoires de chair et de sang. Il m’importe d’entretenir le souffle de cette humilité à la tâche qui consiste à se faire chercheur en écologie intérieur. Oui, pratiquer sans complaisance cette écriture de la nuit où la mise en mots des maux, paradoxes, déchirures, et amours sidérales aurait ardeur à déboucher sur un chant dont l’intégrité ferait rempart au sordide petit commerce d’une conscience à la solde de ses inassumés. Ériger alors un « je »qui, à visage de montagne, n’abolirait pas la mémoire des failles qui l’ont constitué en sa singularité. Alors en ce qui concerne la mort, certes, il y a ce mot qui désormais te colle au corps. Marcel, tu avais le bon goût de ne pas te penser séparé de la condition animale. À l’idée qu’il serait de bonne guerre que tu finisses dans le ventre des êtres qui t’avaient nourri, ton œil malicieux invoquait la panthère noire, celle dont ton portefeuille abrita longtemps la photographie. C’est dans l’intime du rugir de cette bête couleur nuit, que je te poétise aussi, bondissant à travers jungle, parmi les porteurs de feuilles, au cœur de ces « Saulitudes » dont, encore, lors de notre dernière rencontre, tu t’obstinas à vouloir faire monter la précieuse sève des phrases. Précisément, chaque livre se vivait comme ta dernière bataille. Une danse vitale, exigeante, sans complaisance entre ton corps charnel et ton corps verbal. Il en allait ainsi de tes livres, il en allait ainsi de nos rencontres…tout un art de se livrer à cratère d’authenticité, bien loin de la comédie sociale moderne. Marcel, je ne te perds pas de mots, le livre de notre rencontre continue de s’écrire en moi, à dimension de cette consanguinité volcanique et abyssale, à dimension de ton précieux soutien à l’accomplissement d’une écriture de réappropriation d’un ventre de femme.

Ton amie

Athane

P.S. : Regarde, en photo, mon petit Marcel, le tambourinaire des abysses, celui qui met les profondeurs en mouvement de bonheur. Il est fait avec l’aide du peuple des arbres du parc de mon chien, les fossiles de ma montagne et une bonne bouteille de vin… Tu sais, on a bien rigolé, on s’est échappé dans mon endroit préféré, là où il n’y a pas de civilisés, juste le renard, les corneilles, les mésanges et le feu solaire dans les racines des ancêtres. Au rythme de l’ivre tam-tam s’est ouvert la faille et je te jure, on y était dans le maquis provençal ! Un sacré « bal dans la tête » ! Haha, je te raconterai dans un prochain texte.

Livres de Marcel Moreau cités et évoqués :

Marcel Moreau, La violencelliste, Denoël, 2012.

Marcel Moreau , Des hallalis dans les alléluias, Denoël, 2009.

Marcel Moreau, Un cratère à cordes ou La langue de ma vie, Lettres Vives, 2016.

Marcel Moreau, Bal dans la tête, La différence, 1995.

Marcel Moreau, Saulitude, Accent, 1982.

Marcel Moreau, Les arts viscéraux, Christian Bourgois, 1975.

Marcel Moreau, La pensée mongole, Christian Bourgois, 1972.

Marcel Moreau, un possédé des mots. Ouvrage collectif.

marcel-moreau

« Il est des profondeurs dans lesquelles la plupart des êtres n’osent
s’aventurer.
Ce sont les abîmes infernaux de notre vie instinctive,
cette descente dans nos cauchemars si essentielle à notre
« re-naissance » même. Le voyage mythologique du héros implique le grand
combat avec les démons. Marcel Moreau a engagé cette lutte. » Anaïs
Nin, Préface L’Ivre livre, 1973

Ouvrage collectif autour de l’écrivain Marcel Moreau 
avec des textes, lettres, dessins, peintures et photographies de :

Athane Adrahane, Pierre Alechinsky, Lydie Arickx, Patrick Bonté, Gaëlle Deguardia, Françoise Delmez, Viviane Desmet, Jean Guillou, Mélanie Hamm, Julien Hertz, Antoine Jobard, Jean-David Moreau, Marcel Moreau, Michel Onfray, Laurine Rousselet, Jean-François Spricigo, Jacques Sojcher, Patrick Tudoret, Christophe Van Rossom, Yves Robbe, Reinhoud, Vladimir Velickovic.

Marcel Moreau, un possédé des mots. Revue Ah, les éditions Cercle d’Art, 2012

Marcel Moreau, tambourinaire des abysses

Pour Marcel

L’écrivain Marcel Moreau fait des pulsions, des forces telluriques qui habitent  nos profondeurs, des « instincts éclairés». Cette métamorphose des fonds de corps s’opère par la puissance du langage chargée de doter d’un sens lumineux et créateur les sens obscurs de l’homme.  Incessantes solifluxions du corps verbal dans le corps charnel, du corps charnel dans le corps verbal. Tout ce qui loge dans la profondeur des corps se voit fécondé par la « puissance du langage », la « femme des abysses ». Le rythme d’une écriture ainsi alliée au corps, insuffle de tels mouvements à la pensée, qu’il propulse vers le haut, dans un jaillissement d’art, les gisements indansés de l’âme. Par la force des roulements du verbe, par son rythme généreux en sécrétions incandescentes, les coulées de corps ne dégénèrent pas en épaves sordides, mais écrivent au fil d’un amour-océan les lignes d’un continent-livre que fouettent de vivacité les respirations mêlées du sens et du non-sens, de l’esprit et de la matière. Les mots habités, creusés, caressés, fécondés, réanimés par la fougue du corps verbal, ouvrent l’être à des paysages de steppe dont les libres chevauchées mettent en échec les rétrécissements auxquels nous conditionne la pensée dominante dont le langage stéréotypé nous initie toujours plus à la chorégraphie du robot. Le corps se dote alors d’une autre santé car l’auscultation par la langue-torche sait faire jaillir des cavités interdites un dire de l’antre désormais guérisseur des destructions irrémédiables qui s’effectuent dans l’organisme. Les mots-râles, les mots à Continue reading

Entretien avec Véronique Bergen autour de Requiem pour le roi. Mémoire de Louis II de Bavière

Par Athane Adrahane (2011)

                  Véronique-Bergen-2011                    
©Athane Adrahane
                                                                                                                             
Véronique,

   Je viens de terminer « Requiem pour le roi ».
   Je voudrais t’écrire depuis ce point où tourbillonnent les âges, les sexes et les règnes, où s’étreignent les astres, les fleurs et les lacs.
   Je voudrais t’écrire depuis ce point où existe le mouvement d’aller retour incessant entre esprit et  matière, nature et pensée, noûs et phusis.
   En toute immanence.
   Je voudrais t’écrire depuis ce foyer de solitude, ce royaume de l’enfance où le pouvoir de l’imaginaire sait résister à la réal politique des adultes.
   Depuis le point que ton livre allume, je ne peux en cette nuit t’esquisser que quelques sentiments en éclair…

Saisie magnétiquement  par le devenir que tu extrais de l’histoire de ce roi sculpté dans une solitude de haute altitude. Sa délitescence. Son déchirement, dans le sens des strates qui bâtirent son être. Son effeuillage, par où sa flore s’expose au charme lunaire, à son cortège d’ombre favorisant d’autres enfantements. Et ce, que le magnétisme soit de cime ou d’abîme, porteur de marée de peur ou de ruissellement d’extase. Continue reading

“Just Kids” de Patti Smith. Les ailes de la création.

 Par Athane Adrahane (2011)

Just kids Patti Smith

 

« Nous promenions la nuit. Parfois nous apercevions Venus au dessus de nos tête. C’était l’étoile du berger et l’étoile de l’amour. Robert l’appelait notre étoile bleue » Just Kids, Patti Smith.


Le photographe Robert Mapplethorpe meurt du sida en 1989, Patti Smith avant sa mort lui promet de conter leur histoire qui débuta vingt ans plus tôt. Rares sont les livres écrits devant la mort, là où le corps verbal gage son sang vital. « Just kids » est ce livre graphé en encre stellaire d’où rayonnent les aventures de cet univers bleu peint de concert par les deux kids de New York rêvant d’une existence d’art. « Indéfinissable dévotion » de ces deux kids l’un pour l’autre par delà la mort. Indestructible liaison à même la morsure de la vie, par delà les rumeurs du reste du monde. Indéfinissable âmour faisant bégayer les clichés que l’on plaque sur autrui pour réduire l’intensité du mystère et rassurer ceux dont l’inédit angoisse par manque de prise. Patti Smith et Robert Mapplethorpe inventent une autre catégorie relationnelle. Ils nous content un mode d’être ensemble qui ne rentre en aucun statut codifié. Par delà couple et amant, mari et femme, ils se font âmes-soeurs dans la création, chacun prenant soin de l’âme de l’autre, de la part de l’invisible, de son daîmon, de son divin. L’un et l’autre aimantés par l’art de faire croître en l’autre cet ange de la création qui ne demande qu’à oser l’envol dans les terres du visible. Aimer : se faire alors l’aile qui prend soin du désir de l’autre, c’est-à-dire de l’agencement qui installera une terre viable pour la prise en charge des blessures inhérentes à tout chemin de vie. Dans « Just Kids », Patti Smith déploie concrètement son chant en Continue reading

Cavalcades à la frontière du langage, avec “Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent” de Véronique Bergen

par Athane Adrahane (2006)
Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent. Véronique Bergen

Voix d’un lecteur

Pourquoi l’enfant- volcan, chanté Athane Adrahane, se fissure-t-il en petites rivières de larmes quand traverse sa nuit la voix de Kaspar dans les petites phrases de Véronique ?

Pourquoi ne sombre-t-il pas alors dans le fleuve de tristesse que devrait générer le regard lucide des terres de l’enfance posé sur l’étendue de la barbarie des hommes ?

Pourquoi l’enfant-volcan, chanté Athane Adrahane, sourit-il alors aux anges quand traverse sa nuit la voix de Véronique dans les petites phrases de Kaspar ?

Parce qu’il est un lieu où les mots sont plus que des maux, ils se font chant, ils se font musique. Ils ne sont plus ces actes terroristes qui assassinent le feu magique de l’enfance mais ces ailes qui délicatement vous touchent et vous envolent pour des terres plus belles et plus intenses que celles que les mots menteurs des adultes ne pourront jamais nous dépeindre.

Parce qu’il est un lieu où à force de penser la blessure l’on se met à la panser.

Les livres de Véronique Bergen figurent parmi ces terres encore sauvages où les larmes se font vivifiantes rivières irriguant les terres des gorges les plus asséchées. En ces endroits où les rumeurs se font vents ensemençant les chants les plus désespérés, alors, à la grâce de je ne sais quelle lumière, l’on voit croître les mots qui sauvent. Continue reading