“Just Kids” de Patti Smith. Les ailes de la création.

 Par Athane Adrahane (2011)

Just kids Patti Smith

 

« Nous promenions la nuit. Parfois nous apercevions Venus au dessus de nos tête. C’était l’étoile du berger et l’étoile de l’amour. Robert l’appelait notre étoile bleue » Just Kids, Patti Smith.


Le photographe Robert Mapplethorpe meurt du sida en 1989, Patti Smith avant sa mort lui promet de conter leur histoire qui débuta vingt ans plus tôt. Rares sont les livres écrits devant la mort, là où le corps verbal gage son sang vital. « Just kids » est ce livre graphé en encre stellaire d’où rayonnent les aventures de cet univers bleu peint de concert par les deux kids de New York rêvant d’une existence d’art. « Indéfinissable dévotion » de ces deux kids l’un pour l’autre par delà la mort. Indestructible liaison à même la morsure de la vie, par delà les rumeurs du reste du monde. Indéfinissable âmour faisant bégayer les clichés que l’on plaque sur autrui pour réduire l’intensité du mystère et rassurer ceux dont l’inédit angoisse par manque de prise. Patti Smith et Robert Mapplethorpe inventent une autre catégorie relationnelle. Ils nous content un mode d’être ensemble qui ne rentre en aucun statut codifié. Par delà couple et amant, mari et femme, ils se font âmes-soeurs dans la création, chacun prenant soin de l’âme de l’autre, de la part de l’invisible, de son daîmon, de son divin. L’un et l’autre aimantés par l’art de faire croître en l’autre cet ange de la création qui ne demande qu’à oser l’envol dans les terres du visible. Aimer : se faire alors l’aile qui prend soin du désir de l’autre, c’est-à-dire de l’agencement qui installera une terre viable pour la prise en charge des blessures inhérentes à tout chemin de vie. Dans « Just Kids », Patti Smith déploie concrètement son chant en dressant le poème du réel, ce poème de l’existence qui s’érige au fil des petits gestes posés au quotidien, là où chaque présent, chaque présence se fait perle rare, pépite d’exception, fragment d’étoile, conte d’éternité. Poème en trois dimensions construit par l’attention portée aux signes, par la fidélité aux pactes d’enfant, aux pactes de sang, à ces promesses « à la vie, à la mort ». En filigrane, la poétesse dégage une éthique de l’essentiel, éthique du sacré qui, pétrie d’immanence, incite à prendre soin au quotidien du précieux, de la boite à trésor, du puits que dissimule l’autre. « Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part… » ferait écho le Petit Prince de Saint-Exupéry dont l’étoile rayonne d’abriter une fleur d’exception… L’autre, le compagnon de route choisit, est ce paysage mystérieux qui secrète un joyau invisible dont il faut veiller à ne pas épuiser les vertus ressourçantes. Si « Just Kids » graphie la vie (bio), ce livre graphie aussi la mort et montre comment l’une danse avec l’autre. Le mort, l’aimé disparu, devient cet invisible qui illumine celui qui en honore le chant. Patti Smith, par son verbe trempé à l’encre d’ « un silence qu’il faudrait toute une vie pour exprimer », graphe avec délicatesse l’être de lumière qu’est Robert Mapplethorpe dont l’art photographique s’efforça de révéler la danse des ombres et des lumières sculptant l’homme, la femme et l’orchidée dans un devenir partagé, celui de l’éphémère. « Life rapidly changing, have you seen death singing ». Au fil des flots de phrases, l’Étoile Bleue continue alors de prodiguer ses rayons d’amour, créant l’espace/temps adéquat aux battements d’ailes de l’oiseau émeraude à travers les mers de corail. Au fil des mot-ondes, l’Étoile Bleue continue de décocher ses flèches de réflexions pour qui cherche à se tenir à flots des difficiles et paradoxales épreuves qui ballotent l’aventure du vivant. Aussi, en ces temps où le mot « ami » tend à se vider de son corps par la prolifération de ses acquisitions par simple « clic », et où l’ incarnation de ce mot au quotidien engagerait l’effort d’une création singulière, non-préconfigurée, ce livre ne peut qu’interpeller par son souci de faire de l’art d’aimer, un acte poétique où la matière des mots se fait gestus de sublimation, ange gardien du feu créateur que porte en lui l’ enfant de la terre dont on désire se faire l’ami. En définitive, « Just Kids » un livre d’enfant pour les enfants. Parce que, quel que soit leur âge, seuls les enfants savent, qu’un ami, c’est un feu de joie dans la nuit, une étoile rare, une fête, un sourire qui se transmet par voie d’infini.

Just Kids, Patti Smith (Denoël, 2010)

La Mer de Corail, Patti Smith (Tristram, 1996)

Le Petit Prince, Antoine De Saint-Exupéry (Gallimard, 1940)

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