Par Athane Adrahane
Il y a comme cela des expositions qui vous suivent, vous avez beau leur intimer de rester dans le passé afin de tranquillement vaquer à vos occupations du présent, elles insistent. Il en est ainsi de De Corpore de Charley Case. C’est comme si le lieu où elle incrusta décor avait gardé nos empruntes ou plutôt qu’elle nous avait empruntés le temps de faire de nos corps tant l’accueil des cris des pestiférés que l’accueil de ces gestes qui soignent, et ce afin que les exilés du monde ne s’oublient pas. C’est que ce lieu est celui d’un ancien couvent où les Soeurs Noires offrirent hospitalité aux êtres touchés par la peste qui sévit à Mons en 1515 et dont certaines iront jusqu’à accompagner les souffrants aux pays des morts. Ainsi nous renseignent quelques écriteaux et l’aimable guide qui disparait ensuite pour nous laisser entre les mains et bouches piaillantes d’enfants dits « anthropophages ». La tonalité est donc donnée, ainsi incorporés dans la poétique de l’enfance nous acceptons en confiance l’épreuve du feu au sein de laquelle nous sommes invités à marcher sur des corps à nu gravés dans un planché de treize mètres de long. Si lors de ce passage nous sentons remonter la souffrance des chaires embrasées, écorchées et exclues du socius, à y sentir encore et de plus près ce qui se trame sous nos pieds, se communiquent à nos sens les lumineuses énergies et douces gestuelles de soin que savent pratiquer les femmes-anges-soignantes (joliment animées par la corolle que forme la chorale dansante Patshiva-cie). Se tisse ainsi au fil de nos pas sages un fin dialogue, une subtile sororité avec ces êtres qui n’ont pas rompu le lien de l’empathie et qui cultivent le souhait d’apaiser les cris de l’âme. À chaque pas s’apprend l’attention aux terres que l’on « foule » et à la façon dont on y fait « monde » avec les autres. Il y aura ensuite l’épi-phanie que le corps n’est pas seul, qu’il est fait d’une multitude de lignes d’univers qui en composent l’étoffe. En bon imagicien, Charley Case s’affaire à rendre visible le processus de la constitution des corps, à rendre perceptible la genèse d’un univers au sein d’un corps et d’un corps à l’autre. Artiste cheminant à même la texture des mondes, il veille à calligraphier ensemble les divers textes du vivant par delà les usuelles scissions anthropomorphes de l’humain et du non-humain, des vivants et des disparus, du peuple de l’herbe, des os et des rochers.
Alors si vous le pouvez, à même le champ de fleurs des sœurs-anges, pieds nus, dansez ! Belle veillance et sourire de l’âme apaisée, vous y trouverez !
A voir jusqu’au 10/01/2016, de 10 à 18 h.
Ancien couvent des Soeurs Noires (entrée rue Grand Trou Oudart) – 7000 Mons (BE)